CHAPITRE XV

Le cri du vaisseau résonna au fond de l’esprit de Corran. En revanche, la secousse du retour dans l’espace normal le toucha dans sa chair.

— Au nom de la Sith, qu’est-ce que…

Il se leva pour tituber vers le poste de navigation.

— Une attaque ? demanda Harrar.

— Je ne sais pas, répondit le Jedi. Mais vu la veine que j’aie depuis le début de cette mission, ça ne m’étonnerait pas.

— Nous sommes dans une région qui n’est pas cartographiée, dit Tahiri. Nous avons peut-être heurté une anomalie gravifique.

Le Jedi aurait voulu la réprimander pour avoir lâché cette information. Se rappelant ses propres consignes, il s’interdit de critiquer la jeune femme devant les Yuuzhan Vong.

— Nous sommes dans une région cartographiée ! dit-il.

C’était presque vrai…

— Alors, que s’est-il passé ?

— Pourquoi pas une mine de basals dovin interdicteurs ? Les Yuuzhan Vong en ont implanté partout le long des routes importantes pour arracher les navires de l’hyperespace.

— C’est exact. Le Faucon Millenium a subi un phénomène de ce genre sur un des trajets du cordon commercial corellien.

— Espérons que nous nous en sortirons plus facilement. Enfer et damnation !

Corran venait de faire pivoter le vaisseau pour découvrir la cause de leur sortie de l’hyperespace. Et il l’avait vue.

Elle ne correspondait pas à ce qu’il attendait.

Il étudia un moment l’extrémité pointue d’un losange blanc plus grand que beaucoup de cités. Des souvenirs de jeunesse lui revinrent et ils n’avaient rien de joyeux.

— C’est un interdicteur, en effet, dit-il. Un interdicteur impérial.

— Une preuve de plus qu’il ne faut jamais tirer de conclusions hâtives, lança Harrar, sarcastique.

— Je ne m’excuse pas. Les basals dovin étaient une bonne probabilité. En revanche, ça…

— Ne sommes-nous pas amis avec l’Empire, maintenant ? intervint Tahiri.

— Amis ? rugit Corran. Des alliés, tout au plus…

Il poussa les gaz pour exécuter une série de manœuvres audacieuses en réponse aux rayons laser qui filaient vers eux.

— Peu importe ! Ils ne devraient en aucun cas nous tirer dessus.

— Non, et ils ne le feraient pas si on n’était pas dans un vaisseau qui ressemble à un appareil yuuzhan vong. Ou si nous pouvions les contacter pour décliner notre identité. Mais je ne vois rien qui évoque un système com, à moins que notre amie modeleuse l’ait dissimulé, comme le reste des commandes. En l’état actuel, nous n’avons rien à faire, sinon mettre de la distance entre eux et nous.

— Et que fait cet interdicteur ici, loin de tout ?

— Je ne sais même pas exactement où est « ici », mais je devine pourquoi les Impériaux sont là.

— Pourquoi ?

— Je ne peux pas le dire, c’est secret…

Kenth aurait pu m’en révéler plus sur les projets d’attaque. J’aurais dû imaginer que ça se passerait dans ce secteur. Bilbringi, peut-être ? Cet interdicteur doit appartenir aux forces impériales… Mais pourquoi est-il seul ? Forme-t-il l’arrière-garde ?

Aucune importance. Ils ne pouvaient pas lui parler et encore moins le combattre. Leur seule option était la fuite – et rapide !

— Qu’est-ce qui ne va pas ? demanda Nen Yim en entrant dans le poste de navigation.

— Nous venons d’être tirés de l’hyperespace par les Impériaux, expliqua Corran.

Quel commentaire familier ! C’était presque rassurant à dire.

Une pensée ridicule ! Regrettait-il la guerre contre l’Empire ?

— Les Impériaux ? demanda Nen Yim. Je ne suis pas une tacticienne, mais ne sont-ils pas vos… Ah oui, ils nous prennent pour un vaisseau yuuzhan vong !

— Madame aurait-elle l’obligeance de me donner un coup de main ? demanda Corran.

Un rayon laser frôla le flanc du navire, et il lutta pour garder le contrôle de sa trajectoire.

— Sautez dans l’hyperespace, annonça la modeleuse. Je ne vois aucune planète à proximité.

— Je ne peux pas. C’est un interdicteur – il nous en ressortira aussitôt et bousillera les moteurs par la même occasion.

— Pas forcément, fit Nen Yim.

— Si, car les interdicteurs fonctionnent à merveille sur les hyperdrives yuuzhan vong. C’est de la physique pure.

— Certes, mais…

— Quoi ? cria Corran par-dessus son épaule. Je crois me rappeler que vous avez voulu sauter en étant au fond d’un puits gravifique. Mais si vous tenez une idée valable, communiquez-la-moi.

— Vous devez me jurer de garder le secret.

Pendant que la modeleuse parlait, son étrange coiffure bougea d’une manière plus étrange encore que d’habitude.

— Je ne peux pas faire ça, soupira Corran. Pas si vous tenez quelque chose qui peut être utilisé contre nous.

— Il m’est impossible de divulguer des secrets militaires sans que vous vous engagiez à garder le silence.

— Pourquoi ? N’essayons-nous pas d’en finir avec ces hostilités ? N’est-ce pas la raison d’être de ce voyage ?

Mis à mal, le vaisseau se cabra sous les tirs de lasers.

— Les hostilités n’ont pas encore pris fin, rappela Nen Yim.

— Maîtresse Yim, intervint Harrar, si nous mourons et que notre mission échoue…

— Quelle mission ? lança la modeleuse. Il ne nous conduit pas vers Zonama Sekot, mais sur Mon Calamari, où nous serons probablement emprisonnés. Je préfère mourir, surtout si ça évite de leur mettre une arme de plus entre les mains.

— Nous allons sur Zonama Sekot ! hurla Corran. Nous sommes déjà en route. Mais le voyage sera très court si rien ne se passe…

— Vous dites vrai ? demanda Nen Yim, l’air menaçant.

Harrar la prit par un bras.

— Je ne crains pas plus la mort que vous. Mais si vous pouviez étudier cette planète vivante…

— Le dispositif n’a pas été testé, dit la modeleuse. C’est une variante de modelage qu’un de mes apprentis a inventée. Je l’ai développé pour nous défendre contre les vaisseaux yuuzhan vong qui auraient pu nous suivre. Maintenant, je vois une possibilité de l’utiliser contre votre interdicteur.

— Alors, testons-le ! lança Corran, à bout de nerfs. Parce que dans dix secondes…

Nen Yim se coiffa du capuchon cognitif.

Un instant plus tard, le Jedi sentit quelque chose passer dans le vaisseau, puis… disparaître.

— Qu’avons-nous fait, au juste ?

Nen Yim sourit.

— Si mon dispositif fonctionne, l’anomalie gravifique devrait se volatiliser dans peu de temps. Je propose à ce moment-là, que vous nous emmeniez dans l’hyperespace.

— Tahiri, programme un microsaut !

La jeune femme obéit sans poser de questions.

Derrière eux, un rayon laser traversa la cabine. L’impact avait percé la coque de part en part. Le vide aspira l’air, et Corran sentit l’équivalent d’une épée chauffée au rouge lui transpercer le ventre. Il n’osa pas imaginer ce qu’un pilote réellement en harmonie avec le vaisseau aurait éprouvé…

Puis, la blessure guérit, et l’air cessa de se raréfier.

Impeccable, ce truc ! Néanmoins, le Jedi se demanda jusqu’où allaient les facultés d’autoréparation du navire.

La réponse lui fut fournie par le vaisseau lui-même.

Un autre coup du même genre serait de trop.

— Nous ne sommes plus retenus, annonça Tahiri.

— La vie est belle ! fit Corran.

Puis il lança le vaisseau vers des ténèbres où les étoiles ne brillaient pas.

 

— Je suppose que vous ne me dévoilerez rien de plus sur votre dispositif, fit Corran pendant que son pouls revenait à un rythme proche de la normale.

— Je ne suppose pas non plus, répondit Nen Yim. Mais l’essai semble s’être déroulé de façon concluante.

— Félicitations !

Combien de temps avant qu’elle utilise son truc contre nous ?

Au moins, Corran connaissait l’existence de l’« arme », quelle que soit sa nature. Et si la modeleuse n’avait pas menti, c’était un prototype que l’Alliance Galactique ne risquait pas encore de rencontrer sur son chemin.

— Tout ça me fait tourner la tête, dit Corran.

— Quoi ?

— Rien.

— Je ne voudrais pas interrompre cette conversation, intervint Harrar, mais je me demande si ce que vous avez dit au sujet de notre destination est vrai.

Quand Corran se retourna, il vit que le Prophète les avait rejoints.

— Oui, dit-il, nous volions vers cette direction dès le départ.

— Vous nous avez trompés, fit Nen Yim, accusatrice. Pourquoi ?

Les bras croisés, le Prophète se redressa de toute sa taille.

— Pour voir notre réaction. Si nous avions tenté de lui faire avouer le bon itinéraire, il aurait su qu’il ne pouvait pas se fier à nous. Et nous n’aurions jamais terminé le voyage. (Il fixa Corran d’un regard perçant.) Est-ce exact, Jeedai Horn ?

— Un bon résumé…, répondit Corran. Quelle analyse pointue pour un saint homme !

— La compréhension est la base du savoir…

Et la base de l’espionnage. Je me demande ce que tu faisais avant d’embrasser la carrière de Prophète.

Tahiri pourrait peut-être le déduire de… la Force savait quoi. Plus tard, il lui poserait la question.

— Alors, quelle distance jusqu’au but ? demanda Harrar.

— Je ne peux pas le dire avec précision, parce que nous devons avancer par petits sauts. Sans doute quelques jours.

 

Avec le prochain saut dans l’hyperespace, ils arrivèrent aux abords d’un système stellaire sans nom. Le soleil ressemblait à une minuscule sphère bleue, entourée d’un anneau étincelant de toutes les couleurs comme s’il était composé de centaines de millions de gemmes de Corusca.

Fascinée, Tahiri regardait le spectacle.

— Tu as dû voir beaucoup de miracle comme celui-là, lui dit Nen Yim.

Tahiri l’avait senti approcher, mais ne s’était pas retournée.

— C’est sans importance. Chaque système stellaire est unique et chacun a une beauté spéciale.

— Pour celui-là, tu as certainement raison. Est-ce de la glace ?

— J’imagine, répondit Tahiri. Je n’ai pas essayé de connaître sa nature, j’admirais simplement la vue…

— Le système manque peut-être d’éléments lourds. La matière initiale s’est condensée en boules de glace qui ont été déchirées par la force des marées.

— Peut-être qu’un géant errant les a offertes en cadeau de mariage à une nébuleuse.

— Pourquoi avances-tu une explication aussi ridicule ?

La modeleuse semblait véritablement perplexe.

— Et pourquoi dois-tu tout décortiquer ? demanda Tahiri. Si tu crois que Yun-Yuuzhan a créé l’univers avec des morceaux de son corps, tu devrais être capable de croire n’importe quoi !

— La foi est une affaire étrange, répondit la modeleuse. Ma maîtresse ne croyait pas à l’existence des dieux.

— Et toi ?

Les tentacules crâniens de Nen Yim se nouèrent, reflétant sa concentration.

— La religion, à mon avis, est un type de relation avec l’univers qui n’exige pas le recours à la raison. Elle ne diffère pas beaucoup de ton admiration pour ce système stellaire, motivée par sa seule beauté. Je retire de la joie de la compréhension des choses. Tu ne te trompes pas : si je pouvais démonter l’univers et le remonter ensuite, je le ferais.

— Tu te priverais de l’émerveillement !

— L’émerveillement…, fit la modeleuse non sans dédain. C’est quand on invente des histoires sur un géant et ses cadeaux de mariage ? Ou lorsque mon peuple attribue la création de l’univers à une automutilation ? L’émerveillement se coupe des mystères véritables pour en appeler à la fantaisie. Et si le cosmos refuse de se plier à ton imagination, cesse-t-il d’être merveilleux ? C’est de la prétention au plus haut degré !

— Ton explication relevait aussi de la devinette !

— C’est exact. Mais elle peut être étudiée et testée. Si j’ai mal deviné, je serai heureuse de découvrir la preuve du contraire. Mon hypothèse sert d’outil pour révéler la vérité. Selon moi, c’est une plus grande merveille que de croire aveuglément.

— Alors, tu ne crois pas aux dieux ?

— Derrière eux, une réalité doit exister. Mais je ne crois pas qu’ils soient réels au sens habituel du terme.

— Intéressant point de vue… Et que seraient-ils donc ?

— Je n’en ai aucune idée, même pas une hypothèse de départ.

— Je t’en propose une : vos dieux sont en réalité une mauvaise interprétation de la Force.

— Le champ d’énergie dont les Jeedai prétendent tirer leurs pouvoirs ?

Nen Yim semblait plus que dubitative.

— Tu ne crois pas à la Force ? demanda Tahiri.

— J’admets que vous faites appel à une sorte de puissance pour exécuter vos tours de magie – comme vos machines ont besoin d’une source d’énergie. Mais ça ne signifie pas que ce pouvoir englobe tout et possède une volonté propre, comme les Jeedai l’imaginent. Si c’était le cas, comment expliquerais-tu que les Yuuzhan Vong n’existent pas dans la Force ?

— Voilà un vrai mystère… Mais la Force n’est pas une simple source d’énergie, elle va bien au-delà.

— C’est ce que tu crois. Votre Force et nos dieux sont peut-être une mauvaise interprétation d’un autre phénomène qui nous enveloppe tous.

Tahiri frissonna : cette idée correspondait à la conviction d’Anakin – ou presque.

— Tu le crois ? demanda-t-elle.

— Certainement pas, répondit Nen Yim. Mais… merci !

— De quoi ?

— De m’avoir fourni une hypothèse de travail. (La modeleuse regarda autour d’elle.) Où est Corran Horn ?

— Il prend un peu de repos avant le prochain saut dans l’hyperespace. Que lui voulais-tu ?

— Je ne voudrais inquiéter personne, mais je pense qu’il y a un problème avec le vaisseau.

— Un problème ?

— Oui. La fonction de « pliage de l’espace » assurée par les basals dovin paraissait erratique lors du dernier saut. Je les ai vérifiés, et…

— Et quoi ?

— Je pense qu’ils sont en train de mourir.